Pourquoi réaliser un fanzine dans un cadre scolaire ?
02. Juli 2024
von Alain Chardonnens
Un fanzine a été lancé en 2021 à l’Ecole de culture générale de Fribourg. Depuis lors, quatre numéros ont été publiés.
- Peux-tu nous rappeler l’origine de cette démarche artistique?
Lors de nos échanges avec le groupe culturel, l’enseignant Thomas Jenny a évoqué le fait que des élèves ne se sentent pas assez «entendus» dans les cours et dans l’école. Cette situation nous a interpellés. Laura Braillard, également enseignante et membre du groupe, a proposé la forme du fanzine comme espace d’expression. Ainsi, en pleine période de pandémie, nous avons mis en place un atelier dédié à cette activité et avons invité tout élève intéressé à y participer. Les années suivantes, nous avons poursuivi la démarche en adaptant et expérimentant quelques paramètres du projet (le choix de l’intervenant, le lieu, la durée, la méthode). Quelques constantes (format et impression) nous ont permis de créer une série (quatre numéros) toujours avec cette même idée: offrir un espace pour s’exprimer. Au bout de quatre ans, nous y voyons un potentiel, tout en étant conscients à la fois des limites et/ou des exigences que cela demande. L’idée originale du fanzine – «se saisir de l’espace pour exprimer une posture, des pensées et des préoccupations et de les diffuser» – est à mon avis similaire. Évidemment, ici, le cadre et les moyens diffèrent complètement du milieu «alternatif» des années 1970.
- Pourquoi ne pas avoir adopté une approche digitale?
Transmettre du contenu par le biais d’un fanzine, c’est-à-dire sur papier, peut paraître décalé. Vu les moyens technologiques et la vitesse de communication dont nous disposons aujourd’hui, une telle démarche est certainement anachronique. Cependant, le fait de se confronter à des moyens et des méthodes «physiques» (écriture, dessin, découpage, collage…) et non «digitales», emmène selon moi les participants à vivre un processus intense, à la fois individuel et, en même temps, collectif. Offrir du temps pour se retrouver dans un espace et s’adonner à une telle activité permet ainsi de mettre en lumière les pensées de chacun tout en se confrontant à une ambiance de groupe. Le fanzine devient alors un objet précieux puisqu’il contient, documente et rend visibles des éléments parfois très intimes et transmet, d’une certaine manière, l’ambiance qui a été vécue lors de l’atelier. C’est un peu une empreinte…
- Tu évoques également le processus et le cadre. Peux-tu nous expliquer ce que tu entends par là?
Grâce au cadre donné, une certaine liberté peut être vécue dans le processus. Le cadre permet d’explorer. Autrement dit, nous essayons d’insuffler aux participants un esprit d’ouverture et de curiosité. L’apprentissage devient alors intéressant car ces derniers doivent faire confiance à l’inconnu, en mettant de côté leurs connaissances, leurs acquis et leurs attentes…
- Qui participe à l’élaboration du fanzine?
Nous avons testé différents formats. Dans le cas du premier numéro, les élèves étaient volontaires. Dans les deux numéros suivants, l’atelier s’est déroulé dans le cadre des journées thématiques. La plupart des élèves avaient choisi de s’y inscrire. Pour le dernier numéro, nous avons voulu proposer un atelier destiné spécialement au groupe culturel. Deux autres enseignantes se sont jointes à nous.
Les réactions varient: parfois expressives et très claires, et quelquefois, nous faisons face à une absence de retours. Je pense cependant que les élèves ayant pris part au processus et ayant réalisé un fanzine ne peuvent pas rester totalement indifférents. Qu’ils l’expriment ou non, il se passe quelque chose en eux. Ils ont donné une «trace» et celle-ci est ensuite imprimée, donc rendue visible. Autrement dit, ces différentes traces – toutes rassemblées dans un fanzine – reçoivent une validation!
- Pourrais-tu évoquer quelques aspects du contenu et de méthodologie retenus?
Pour les premiers numéros, le contenu a été récolté de différentes manières. L’ordre et la chronologie des pages s’est faite de manière quelque peu aléatoire. Dans les deux derniers numéros, l’intervenant a proposé une méthodologie claire avec des étapes précises. C’est peut-être cela qui se fait le plus ressentir en feuilletant les différents numéros. Le numéro quatre se distingue encore plus des autres: les auteurs de celui-ci sont des enseignants et la méthode a été au centre du processus.
- Est-il possible de transférer le contenu du projet dans les disciplines?
Il est possible d’utiliser certains des aspects du projet – à savoir ce qui s’est manifesté dans les numéros (que ce soit au niveau du contenu et/ou du visuel) – de s’en inspirer et de faire un transfert dans sa propre discipline. Je pense en particulier à la méthode du dernier numéro quatre «faire autrement», destinée à un groupe d’enseignants. Celle-ci a permis de redécouvrir, sous un autre angle, sa discipline et/ou sa thématique. En quelque sorte, les enseignants ont été amenés à questionner leur domaine et à s’en approcher d’une manière différente, à la fois ludique, en mode solo et en duo.
Je terminerai avec ces quelques mots: il faut parfois déconstruire un contenu afin qu’un nouvel ordre puisse être créé et celui-ci peut, de manière étonnante et sans passer par l’intellect, révéler l’essence des choses.
Entretien avec Marinka Limat, agente culturelle, réalisé par Alain Chardonnens, historien et enseignant.