Kulturagentinnen und Kulturagenten Schweiz

Pouvons-nous nous rencontrer sous un autre angle, sous un autre visage !?

Je saisis au passage quelques situations vécues et les décris ci-après sous forme d’anecdotes. Je les considère comme de « légers décalages » (par rapport aux normes) et elles sont à mon avis sont synonymes d’ouverture. En effet, quand les éléments du dispositif sont légèrement déplacés et sortent de leur structure initiale, cet entre-deux créé par l’imprévu donne la possibilité de s’approcher les un·e·s des autres différemment.

Anecdote 1 : Les pieds dans le terrain
Elèves – enseignant·e·s

Après des années d'attente, une action vit enfin le jour : le vaste terrain de l’école allait accueillir une végétation autre que du gazon. Un appel avait été transmis : tout élève et enseignant·e intéressé·e avait la possibilité de participer à la démarche de plantation d’arbres et d’arbustes. Libéré·e·s des cours durant toute une journée, un groupe d’une vingtaine d’élèves accompagné·e·s d’enseignant·e·s se sont retroussé·e·s les manches pour saisir pelles et d'autres outils. L’ambiance plutôt joyeuse et l’activité commune, avec un but répondant aux besoins des deux groupes principaux, ont permis une rencontre un peu plus à l’horizontal. Les rôles ont été quelque peu moins concis.

Anecdote 2 : Sur le sol, on siège Elèves – personne externe

Lors d’un échange avec un groupe d’élèves, une intervenante externe à l’école s’est assise sur le sol. Un cercle s’est formé. Cette posture inhabituelle, bien qu’elle ne soit spectaculaire, peut être perçue comme une légère enfreinte au règlement de l’école. Etait-ce une initiation à une conduite fortement déconseillée par l’institution ? En effet, il n’est pas d’usage de s’installer de telle sorte alors que des bancs sont à disposition... Cette situation, quelque peu « hors-champ », a permis me semble-t-il, un rapport différent à l’espace ainsi qu’aux personnes, ceci grâce à l’action initiée par une personne adulte et externe.

Anecdote 3 : Bureau en pleine cafétéria
Personne externe – direction

Il m’arrive parfois de travailler à la cafétéria d’une école. L’autre jour, plongée dans mes pensées entre écran et papier, j’aperçois un membre de la direction en train de commander un café. Nous nous saluons. Je lui lance : « Aujourd’hui, c’est ici mon bureau. » La personne rétorque : « Pas mal du tout comme bureau ! En effet, la pièce est spacieuse et comment dit-on... un open space ? » Nous nous amusons à alimenter notre imagination. Cela paraît banal, mais cette intrusion dans l’espace dit publique de l’école a suscité un peu de créativité. Bien évidemment, il faut que cela fasse écho chez les acteurs du moment.

Anecdote 4 : Au coin de la table, chez le concierge
Employé – employé

Dernièrement, je suis invitée à venir boire un café dans le bureau du concierge. Alors que je devais clarifier quelques détails logistiques liés à un projet, le collaborateur précité m’offre spontanément un café et me tend une chaise. Je me pose un instant. J’observe et papote. Ce n’est pas désagréable de découvrir dans les sous-sols l’univers particulier du métier de concierge (sorte de laboratoire où produits, outils et calendrier sont bien rangés). Je vis une action banale (boire un café) dans un espace semi-privé (tout le monde n’y met pas forcément les pieds). En d’autres mots : accepter l’invitation à s’assoir quelques minutes dans un espace défini par un collègue, permet peut-être une meilleure compréhension de l’un et de l’autre.

Anecdote 5 : Une guirlande de fleurs et des honneurs
Direction – public divers

Lors de la cérémonie des diplômes (étape qui s’inscrit par excellence dans un cursus scolaire), un des membres de la direction prend la parole et entame, de manière claire et posée, le discours officiel. Tout est maîtrisé. La prestation est très soignée. Soudain, l’orateur s’arrête après avoir prononcé les paroles suivantes : « une remise de diplôme de fin d’étude n’arrive qu’une seule fois dans la vie et cela mérite d’être fêté dignement ». Une musique aux sonorités joviales, quelque peu tropicales, retentit. Le protagoniste en question sort une guirlande de fleurs, dissimulée pour l’occasion, et se la pose autour du cou. Les réactions ne se font pas attendre, des sourires et des applaudissements sont exprimés. Ce geste inattendu montre une facette de la personnalité : une ouverture à l’autodérision.

Ces anecdotes mettent en évidence des moments où le dispositif établi dans l'école est légèrement perturbé ou modifié, créant ainsi des situations nouvelles et permettant de nouvelles interactions entre les personnes impliquées. Ces légers décalages offrent la possibilité de se rapprocher les uns des autres différemment et de découvrir des facettes différentes des personnalités et des relations. Ces moments peuvent-ils favoriser une meilleure compréhension mutuelle et une approche plus humaine au sein de l'école ?

Je terminerai ma réflexion avec les propos de Michel Foucault : « Il faut plutôt admettre que le pouvoir produit du savoir ; (...) que pouvoir et savoir s'impliquent directement l'un l'autre ; qu'il n'y a pas de relation de pouvoir sans constitution corrélative d'un champ de savoir, ni de savoir qui ne suppose et ne constitue en même temps des relations de pouvoir ». Pour approfondir, lire l'article de Matthieu Merlin (2009) intitulé : « Foucault, le pouvoir et le problème du corps social »