Kulturagentinnen und Kulturagenten Schweiz

Pourquoi les arts peuvent être intéressant pour l’école

Pendant trois semaines, les rôles de l'éducation changent: un groupe d'enfants enseigne leur langue à un adulte. Mais lors de ce changement de rôles, il ne s'agit pas d'un transfert de pouvoir symétrique, mais de la mise en place d'une situation fragile pour toutes les parties, un espace où personne ne sait. «Maria va à l'école» est un projet de Maria Jerez qui a été réalisé dans des écoles en France, Espagne, Belgique, Croatie et en Islande en collaboration avec des institutions culturelles.(1) Jerez est une artiste performative de Madrid.

Entretien avec Maria Jerez, partie 2

Comme lors de la première partie de l’entretien, Maria Jerez (MJ) se trouve à Santiago de Chile et Selin Bourquin (SB) à Soleure pendant la conversation. La langue de l’entretien, le français, est pour les deux une langue étrangère.

SB: «Tu as déjà fait le projet ‹Maria va à l’école› dans plusieurs écoles. Comment le projet a-t-il évolué?»

MJ: «J’ai déjà fait ce projet dans cinq villes différentes et au début j’apportais beaucoup d’exercices. Peu à peu, je me suis rendu compte que c’est le vide dans la salle qui m’intéresse. Donc on l’a vidé pour qu’il y ait moins d’outils et moins d’exercices. Maintenant c’est plutôt une conversation avec les enfants.»

SB: «Tu te mets dans des situations de fragilité, due au fait que les rôles inhérents au système éducatif sont à rédefinir. Dans la vidéo «Maria gaat nar school» des enseignantes étaient présentes avec toi.(2) Peux-tu décrire les différents rôles dans le projet? Comment gères-tu la collaboration?»

MJ: «Avec les élèves, il y a plusieurs rôles dans la salle: Il y a mon propre rôle, celui de l’enseignante et celui d’une artiste. Mon rôle est de diriger et si je veux aller quelque part dans la conversation, j’essaie de le faire avec les quelques mots que j’ai appris et des fois c’est impossible. Souvent, c’est dans ces ‹détours› que je fais pour arriver à mener une conversation que j’apprends pleins d’autres choses. Puis, il y a le rôle de l’enseignante – jusqu’à présent j’ai que eu des femmes enseignantes dans ce projet. Pour moi, c’est assez important, car sa présence donne la sensation aux enfants qu’on est en train de travailler. Je demande à l’enseignante de ne pas interrompre et de ne pas corriger les enfants. Des fois, les enfants acceptent mes fautes. Par exemple moi je traduis le mot «Vogel» avec le mot «Schuh» et je dis «ein Vogel ist ein Schuh». Et les enfants disent : ‹Ja, ja ein Vogel ist ein Schuh›. Et après, je vois le visage de l’enseignante qui dit ‹Nein, nein!›. Moi je dis: il ne faut rien dire! Car justement ça m’intéresse: comment on fait les négociations entre nous. Et du coup, le lendemain je vais utiliser le mot ‹Schuh› pour parler d’un ‹Vogel›. Donc les enfants entrent dans une discussion d’une problématique car la chaussure est devenue un oiseau. C’est toujours la question d’apprendre mais des fois, dans ce processus, c’est ok de changer un mot pour se faire comprendre. Et puis, il y a le rôle d’une artiste locale de la ville, avec laquelle je travaille après l’école. Elle est toujours là, un peu dans le même rôle que l'enseignante. Mais lorsqu’on veut changer d’espace, si on veut pousser un peu les enfants pour aller plus loin, pousser la frustration, elle se positionne de mon côté. Elle fait des petites interventions pour que les enfants me fassent apprendre. Et après les classes, c'est elle qui m’explique ce qui s’est passé dans la salle car il y a plein de choses que je n’arrive pas à comprendre. Par exemple des discussions entre les enfants que je n’ai pas pu suivre. Et donc cette personne va aussi par exemple me faire comprendre la différence entre le ‹Vogel› et le ‹Schuh›.»

SB: «Est-ce que les écritures de Rancière sur Jacotot était un point de départ pour ce projet?»

MJ: «Pour le projet en Autriche, j’étais en train de lire «Le maître ignorant»(3); c’était une lecture que je proposais à l’enseignante. Ce n’est pas seulement le rôle de l’enseignante qui est nécessaire dans ce projet, c’est aussi un autre apprentissage pour elle, c’est un autre rapport avec les enfants. Des fois dans ce projet «Maria va à l’école», l’enseignante vient chez moi et me dit ‹J’apprends tellement sur ce que je fais normalement et je prends tellement de distance par rapport à comment j’ai réagi dans certaines situations›. Des fois il y a des professeures qui me disent ‹Ce n’est pas possible! Cet élève ne participe pas et normalement il participe chaque jour! C’est vraiment un de nos meilleurs élèves!›. Et par contre les ‹pires› élèves sont les personnes qui participent le plus. Pour moi, c’est très intéressant, car ça veut dire que la situation n’est pas la même et que les enfants peuvent y apparaître d’une autre manière. La dynamique des rôles qui est normalement installée, n'est plus valables dans ces situations. Peut-être que les élèves ‹modèles› qui sont normalement académiquement ‹mieux›, ont peur de cette nouvelle situation où la ‹normalité› n’est plus valide. Par contre il y a beaucoup d'enfants qui, eux, aussi sont encore en train d’apprendre la langue. Avec ce projet, ils sont dans une situation supérieure à moi – même s'ils ne parlent pas bien la langue, ils la parlent mieux que moi. Alors ils remarquent ‹j’ai quelque-chose à montrer›.»

SB: «Pour revenir à Rancière: Quel est le lien avec ton projet?»

MJ: «Quand j’étais en Autriche, j’ai dit à l’enseignante de lire ce livre. Pour moi à l’époque, c’était une lecture importante, aussi pour préparer mon arrivée à l’école. Bien sûr, c’est une référence qui m’a vraiment frappé, car je trouve ça tellement intéressant! Comment est-ce qu’on m’a fait apprendre à l’école? Et Rancière qui décrit ça d’une manière tellement différente: personne enseigne la langue maternelle, mais chacun trouve sa propre langue. Il n'y a personne qui nous explique la grammaire, mais on arrive à parler. Ça m’intéresse beaucoup aussi sur le plan méthodologique: comment est-ce qu’on peut apprendre en écoutant les différences? Ça nous rend plus ‹créatif› – créatif, un mot toujours difficile... Pour moi, le désir d’être ensemble dans ce projet est très important, et non pas seulement d’apprendre la langue. Il y a aussi le côté performatif de l’autre, la capacité de l’autre de me changer.»

SB: «Quelle langue est-ce que tu aimerais apprendre en prochain?»

MJ: «J’aimerais beaucoup aller au Japon, mais aussi en Chine ou en Corée. Parce que les manières de s’exprimer physiquement, par exemple par des gestes, sont tellement différentes. J’ai envie de me mettre dans une situation où je ne vais rien comprendre.»

SB: «Comment va continuer ton projet actuel?»

MJ: «Maintenant je suis en train de travailler avec un peintre. Quand je rentre à Madrid je vais travailler avec un pâtissier. Dans un projet futur, j’aimerais travailler avec un oiseau. Donc vraiment trouver des collaborateurs qui n’ont pas le même langage que moi.»

(1) Montpellier (Centre Chorégraphique National de Montpellier + Ecole Florian), à Madrid (CA2M + Colegio Público de Aluche), à Courtrai (Buda Kunstencentrum + Ecole V-TEX), à Zagreb (Student Center + Osnovnoj školi Mihaela Šiloboda) et à Reyjkiavik (Festival Ungi + Austurbæjarskóli).

(2) Maria Jerez et Edurne Rubio, «Maria gaat nar school», 2017, Video, 38’’22, en collaboration avec Gosie Vervloessmen, Edurne Rubio, enseignantes Babette Slambrouck et Fayza Elhemdaoui, enfants de la V-Tex School, produit par le Kunstcentrum Buda, Kortrijk, Belgique. mariajerez.tumblr.com (18.10.2018).

(3) «Le Maître ignorant. Cinq leçons sur l'émanicipation intellectuelle», Fayard, Paris 1987. Littérature complémentaire: Nora Sternfeld: «Das pädagogische Unverhältnis. Lehren und Lernen bei Rancière, Gramsci und Foucault.», Turia und Kant, Wien/Berlin 2009.